Bien entendu, il pleuvait.

Josiah avait remonté le col de son vieux blouson en tweed, plissé les yeux pour échapper aux gouttelettes revanchardes qui lui accrochaient le  bout des  cils. « Active. », siffla-t-il, autoritaire, en se tournant à demi vers Jack ; ce dernier traînait encore la patte, le visage fiché d’une expression à la mélancolie douloureuse, tourné vers le port et le lycée, l’alignement de maisons grises sous le couvert des nuages. Le rouquin ralentit l’allure sans retenir un claquement de langue agacé, s’infligea un demi-tour nécessaire en remontant la bandoulière sur son épaule d’un geste nerveux ; ils n’étaient plus des gosses, plus enracinés au désert de la ville, à ces ancêtres qui avaient foulé les premiers l’île de Skye. Il lui saisit le bras, y tira en reprenant sa litanie d’autant plus virulente qu’un bref coup d’œil au paysage lui avait enserré la trachée : « Dépêche j’te dis. » Derrière la butte, il y aurait la maison branlante habitée par des générations de Carmichael, des générations de sorciers planqués loin des tumultes du continent –de parfaits petits mages et d’excellents médiums ; autant d’enflures à l’origine de son départ, avec leur droiture dégueulasse, leurs pouvoirs impeccablement normaux, leur discrimination notoire.

Il redressa le menton comme pour chasser cette dernière faiblesse, l’expression durcie par la douleur des souvenirs –le visage de sa mère lorsqu’elle avait compris qu’elle avait enfanté un monstre, les cruautés enfantines, adolescentes, adultes, la soumission écœurante de son mentor, qui ne lui avait rien appris d’autre qu’à craindre l’étendue de ses pouvoirs au sein de leur communauté. A regrets, Jack obtempéra, releva vers son acolyte de toujours une œillade humide, se tut par fierté –il était un homme-, et par appréhension ; s’il remettait en doute les plans de son meilleur ami, on ne lui pardonnerait pas la trahison, et Josiah le planterait sûrement sur les quais baignés par une aube terne. Avant leur amitié indéfectible, les serments d’enfants qui aujourd’hui encore étaient effectifs, il y avait son ambition démesurée ; il pouvait le lire dans les yeux sombres qui le toisaient, peu approbateurs, puis le pas décidé qui le menait vers leur nouvelle vie. Avant toute chose, il y avait la soif de pouvoir héritée des années de brimades, la haine revancharde qu’il accumulait précieusement depuis la découverte de son don macabre –comme pour beaucoup, on avait d’abord cru à un simple médium, à la grande joie de sa mère, mais cette dernière avait vite déchanté en constatant les dégâts. Josiah le lui avait clairement dit : ils allaient voir de quoi les nécromanciens étaient capables –de quoi il était capable. Et il comptait sur son soutien à lui, camarade de toujours, pour l’épauler dans sa quête de reconnaissance. Grimper les échelons, et s’installer au sommet de la chaîne sorcière, d’après ses discours idéalistes d’obstiné ; mais Jack doutait de sa patience, connaissant sa nature explosive, le risque constant de le voir basculer de l’autre côté, finir traqué par les autorités du BFO.

Ils grimpèrent sur le ferry ballotté par la houle et trouvèrent refuge à l’intérieur ; Josiah ébouriffa ses cheveux trempés de pluie, secoua la veste lourde d’humidité, découvrant un pull en laine aux couleurs criardes, tranchant avec l’air sérieux qui lui rongeait la figure –peut-être essayait-il aussi de ne pas flancher, stupidement attaché qu’il était à sa terre natale, rarement quittée, toujours adorée au-delà des ennuis du village. « J’espère au moins qu’il f’ra meilleur là-bas. », déclara Jack en extrayant un paquet de cigarette ramolli par le temps. Josiah n’écoutait que vaguement, le visage détourné vers les maisons floues derrière la vitre, émit une réponse approximant le « ouais » peu convaincant, la cervelle déjà en marche. A Inverness, ils habiteraient chez une des nombreuses cousines de Jack. Il faudrait se trouver un travail, éviter, dans les premiers temps, de divulguer au possible sa nature de nécromancien ; le reste restait encore évasif, intégrer les Sealgair, s’illustrer, devenir le meilleur –il était conscient qu’il lui faudrait cohabiter avec ces pouvoirs qu’il haïssait depuis le commencement, comptait surtout sur son intellect, sa minutie, l’ambition démesurée qui lui servait désormais de moteur. S’imaginant déjà au Haut-Conseil, roi d’une nouvelle ère de parias, il eut un sourire aux airs de rictus, joignit ses deux mains en une posture de souverain. « Jack, il fera forcément meilleur là-bas. »

Josiah a durant longtemps été fan des zombies en tout genre, dévorant inlassablement livres, bandes dessinées, films de genre –son rêve aurait d’ailleurs été d’en réaliser un, et les premières pages d’un script apocalyptique traînent encore dans sa chambre d’enfant ; mais depuis les premières manifestations de ses pouvoirs, il ne peut plus supporter les histoires de morts-vivants et autres cadavres s’extirpant de la tombe à la poursuite des vivants ∫ Il a été un élève particulièrement difficile durant son apprentissage sorcier, ayant souffert à la fois de dons incontrôlables et du mépris général parmi les siens, d'où un désir de reconnaissance exacerbé, ainsi qu'un besoin de vengeance inavoué ∫ Souvent habillé de vieilles fringues trop grandes pour son gabarit malingre, parfaitement démodées et souvent un peu kitsch, paré de vieilles Vans qui lui collent aux pieds depuis des années  ∫ A la sale habitude de chaparder ce qui peut lui passer sous le nez, et conserve les réflexes de jeune homme en reluquant les fesses et les décolletés plongeants, parfois malgré lui ∫ Chérit l'île de Skye et ses origines campagnardes plus que de raison, accent écossais carabiné avec expressions régionales souvent inédites ∫ Gaucher ∫ Concernant ses pouvoirs, stagne depuis des années au stade du rejet, mâtiné d'un intérêt méprisé, encouragé dans cette voie par ses semblables, dont ses proches -Jack excepté ∫ A propos de ce dernier, est rarement vu sans lui, ce depuis leur rencontre à l'école des Outres ∫ Joue à l'adulte plus qu'il n'en est un, extrêmement dur envers qui fait preuve d'un comportement jugé selon lui immature -et parfaitement machiste, en bonus ∫ En conséquence souvent affublé de sourcils froncés en une expression un brin méprisante, ou d'un rictus qui lui donne les attributions d'une parfaite tête-à-claques -parce qu'en plus, le gamin est impertinent