Ding dong. Le bruit strident de la sonnette rebondit sur les murs. Une chape de plomb sembla soudain peser sur l'appartement entier. Dans la chambre le sang de la jeune fille roulée en boule sur son lit se glaça. Les secondes s'égrenèrent lentement avant qu'elle ne daigne se relever et avancer prudemment en direction de la porte d'entrée. La moquette bon marché du couloir amortissait le bruit de ses pas. Sur le chemin, elle ne pût s'empêcher de passer un coup d'oeil à l'intérieur de la salle de bain. Sa mère était toujours allongée, ivre morte, dans la baignoire, sa bouteille de whisky vide à la main. L'enfant soupira, elle espérait que les indésirables qui avaient sonné ne la tirerait pas de son sommeil. Elle préférait de loin voir sa mère endormie plutôt jouant à sa façon la mère présente et attentive.
Arrivant derrière la porte la jeune fille prit une profonde inspiration, il s'agissait encore sûrement de cette vieille peau de Mrs. Davis. La vielle dame avait pris la fâcheuse habitude de sonner tous les deux jours, trouvant chaque fois un motif plus farfelu que le précédent pour pénétrer dans l'appartement houspiller la mère. Moïra avait fait l'erreur de la laisser entrer une fois, comme elle aurait dû le prévoir la courroux de sa génitrice lui retomba dessus une fois la vieille bique sortie. Jamais elle n'oublierait ce jour qui lui avait laissé une marque indélébile sur le coude gauche alors qu'elle tombait sur un éclat de verre, vestige d'une bouteille jetée avec fracas contre le mur.

Sa main était désormais sur la poignée qu'elle s'apprêtait à tourner, « Attends Moïra ... ». La dénommée Moïra roula les yeux. Elle savait ce que son ami voulait qu'elle fasse. Afin d'éviter une leçon de prudence qui lui semblerait interminable de la part d'Aidan elle jeta un oeil distrait par le judas. Elle s'apprêtait enfin à ouvrir quand son oeil s'arrêta sur un étrange détail. Une chevelure rousse. Son oeil analysa alors l'étrangère qui se tenait de l'autre côté de la porte. Un air fier, un tailleur noir et une chevelure rousse rassemblée en un chignon strict.
Elle n'eut pas le temps de réfléchir que le bruit de la sonnette retentit de nouveau, lui arrachant une grimace. « Ouvres !». Aidan avait prononcé le mot avec un empressement qui ne lui était pas coutumier et qui ne disait rien qui vaille à sa camarade. Elle obtempéra cependant.
« Latha math ! Tu es Moïra n'est-ce pas ? » La femme avait l'air moins sévère que son image ne le laissait paraître. Cependant, elle avait l'air fouineuse et cela n'était pas pour rassurer la jeune fille. Elle se contenta de hocher la tête en se pinçant les lèvres. « Je m'appelle Hazel, je suis assistante sociale. Peut-on entrer Moïra ? Ta maman est-elle là ?
Pourquoi avait-elle ouvert la porte ? Jamais elle n'aurait dû écouter son ami. Elle s'apprêtait à congédier la femme et les deux hommes l'accompagnant qu'elle n'avait jusque là pas remarqué, mais la suite des événements l'en empêchèrent.

Aidan au contraire de Moïra savait ce que signifiait la présence d'une assistante sociale sur le pallier de son amie. Il était apparu sans qu'il ne sache vraiment pourquoi aux côtés de celle-ci alors qu'elle n'avait qu'à peine cinq ans. Voilà maintenant sept ans que l'esprit était témoin de la vie infernale de la jeune sorcière. Celle-ci ne connaissait rien de sa véritable nature et il estimait qu'il n'était pas de son devoir de l'en informer. Pour tout dire il avait surtout peur qu'elle ne le congédie. Il avait beau avoir plusieurs années de plus qu'elle, il la considérait comme une amie et ne voulait se voir priver de sa compagnie.
Ce fut donc pour ce qu'il estimait être le bien-être de son amie qu'il agit ce jour-là. Moïra ne connaissait que cet appartement miteux, le rayon alcool de la supérette la plus proche et la violence sans limite de sa mère. Il était temps pour elle de retrouver un environnement plus sain.
Connaissance l'enfant pas coeur, il s'était aperçu qu'elle s'apprêtait à fermer la porte trouvant un prétexte quelconque pour sauver sa mère mais également s'épargner la fureur de celle-ci.

Une seconde après, ce fut le chaos. Les vases et cadres du salon vinrent tous s'écraser par terre. Aidan savait qu'il avait réussi quand il entendit Ainsleigh tituber avant de finalement s'écrouler sur le carrelage de la salle de bain. Lorsque celle-ci pût finalement se relever elle sortie de la salle d'eau en furie, toujours sa bouteille à la main en vociférant un « P'tite salope qu'est-ce que t'a encore foutu ! Vient ici que je te fasse la peau ! qui aurait mis fin à tout doute dans l'esprit de l'assistance sociale.
Celle-ci s'apprêtait d'ailleurs à prendre la parole, mais la bouteille de whisky qui la seconde auparavant se trouvait dans la main de la femme vint s'écraser sur le mur jouxtant la porte.
Moïra qui connaissait l'attrait de sa mère pour le lancer de poids s'était instinctivement baissée pour éviter le projectile.
S'en fut trop pour la rouquine qui attrapa Moïra par le bras. Cette dernière lâcha alors un cri de douleur avant de se défaire de cette poigne de fer. Elle ne voulait pas partir avec cette inconnue. Au fond, une part d'elle lui soufflait que sa vie n'était pas acceptable, à moins que ce ne soit Aidan ? Elle avait de plus en plus de mal à faire la différence entre ses propres pensées et celles du fantôme. Quoi qu'il en fut sa mère était sa seule famille et elle ne pouvait renoncer au seul parent qui était resté avec elle bien qu'ayant fait de sa vie un enfer.

Ce fut donc par réflexe qu'elle souleva la manche de son Tee-shirt pour y laisser apparaître une large ecchymose vraisemblablement récente. C'est en voyant la tête de l'assistante sociale qu'elle comprit sa bourde mais il était déjà trop tard. Déjà les deux hommes la saisissait alors qu'elle se débattait pour regagner sa place auprès de sa tortionnaire. « Laisse-toi faire Moïra, c'est pour ton bien ! » Ainsi, Aidan savait ce qui allait se passer. « Je te déteste ! ». La suite ne fut que brouillard.